en passant Le jour où j’ai frappé un inconnu.

J‘ai laissé ce site à l’abandon pendant plusieurs mois car j’étais fatiguée, j’avais besoin d’une pause. J’ai laissé ce site à la dérive, aussi parce que j’ai commencé un projet trop cool en Janvier qui me rendait bien plus heureuse : peindre des vulves sur Instagram afin de montrer la beauté de la diversité du sexe féminin.

Avec un grand optimisme, je m’étais dit que je reprendrais mon blog avec des articles sympas expliquants des thématiques féministes afin de les rendre plus accessibles aux personnes pas forcément informées.

Malheureusement, si j’écris aujourd’hui, ce n’est pas pour parler avec légèreté de sujets trop cools qui aident à changer le monde. Aujourd’hui, j’écris parce que j’ai craqué.

Aujourd’hui, j’ai cédé à la violence, et je me suis battue. Je suis quelqu’un qui est contre la violence, je pense sincèrement qu’on ne résout pas les problèmes avec des coups. Et pourtant, j’en suis arrivée là aujourd’hui.

Qu’est ce qui m’a mené à un tel acte ?

J’ai 23 ans. Je suis harcelée par des hommes depuis mes 9 ans. Mon corps est sexualisé, harcelé, agressé depuis maintenant 14 ans. Ça a commencé avec une agression sexuelle à mes 9 ans, puis des insultes dans la rue, des propositions d’inconnus pour que je couche avec eux, des inconnus qui m’ont suivi, des mots déplacés de mes amis masculins, des mains au cul, des propos humiliants, des klaxons de voitures, des propositions qu’on me ramène chez moi, des « hé miss, t’es bonne ! Eh oh t’es charmante ! » à des « Salope donne moi ton 06 », mais aussi des « quand je te vois ça me rend tout dur », jusqu’à des « mon fantasme, c’est cracher dans ton cul ». Il y a eu des sifflements, des bruits de bouche comme si on appelait son chien, des léchage de lèvres, mais aussi des mecs qui se branlaient dans la rue en me regardant. On m’a déjà demandé « c’est combien ? » un soir de pluie, tout comme on m’a fait remarquer que j’avais « des belles cuisses de petite pute » lors d’une journée ensoleillée. Le père d’un ami a également dit lorsque j’étais au collège que j’avais la taille d’une « suce bite« . Au collège, c’est aussi là où des élèves du même âge que moi m’ont mise à terre et m’ont écarté les jambes pour me mettre des coups de pieds en me disant « prend ça dans la chatte« . On m’a fait moult remarques sexistes sur mes lieux de travail, on s’est ouvertement moqué de moi car j’étais une femme, tout comme on m’a prit de haut pour les mêmes raisons. Tout ça n’est qu’un échantillon de tout ce qu’on m’a dit et fait durant ma vie.

Qu’est ce que j’ai fait pour mériter ces 14 ans d’harcèlement, d’humiliation et d’agression ? Je suis née avec un vagin entre les jambes. Je suis une femme dans un monde d’homme où il est considéré comme normal de commenter l’apparence des femmes dans la rue, comme une vulgaire marchandise. Il est normal de nous considérer comme des objets sexuels qui doivent du sexe aux hommes. La société dit que c’est normal car les femmes sont gentilles et soumises, et que les hommes sont forts et ont un désir incontrôlable. Sauf que c’est faux. Les hommes ne sont pas des animaux, les hommes ne sont pas mauvais, ce ne sont pas des prédateurs. On les élève comme ça. On leur inculque qu’ils ont le droit d’agir comme ça, et ce, dès la cours de récré. Là où les garçons s’amusent à lever les jupes des filles, là où on dit aux petites filles « ignore-les » (autrement dit, encaisse et tais toi), et là aussi où on dit entre adultes « ah bah les garçons c’est les garçons hein ». Non. Ça n’a pas à être comme ça.

Mon entourage masculin est profondément féministe, ça ne les empêche pas de désirer les filles, et pourtant ils le font respectueusement, sans harcèlement, sans regards appuyés, sans non respect du consentement. Mes petits frères ont été élevés dans des valeurs féministes, et ils sont en train de devenir des hommes décents, comme beaucoup d’autres. Des hommes qui considèrent que les femmes ne sont pas des bouts de viande. L’homme prédateur n’est pas une fatalité, l’homme ultra viril qui prend tout et détruit tout sur son passage n’est rien d’autre qu’un vieux mythe qu’il faut à tout prix déconstruire.

Il faut éduquer de toute urgence, car aujourd’hui, moi comme beaucoup d’autre femmes, je suis excédée de ne pas pouvoir mettre un pied dehors sans me faire emmerder. Ce n’est pas normal d’avoir constamment peur de sortir, ce n’est pas normal d’être anxieux dans la rue, ce n’est pas normal d’éviter à tout prix les trottoirs où il y a des bande de garçons, ce n’est pas normal d’avoir peur quand on est seule avec le chauffeur de bus le soir, ce n’est pas normal d’avoir peur lorsqu’on est la seule fille dans une pièce ou dans les transports. Vivre dans la peur est inacceptable.

C’est 14 ans de harcèlement moral et physique qui m’ont poussés aujourd’hui à frapper mon harceleur.

Pendant longtemps, je ne répondais pas comme on me l’avait sagement apprit. Mais ne pas répondre me plongeait dans une rage incontrôlable. Car ne pas répondre, c’est approuver. Sans réponse, la personne en face croie que ce qu’elle fait est normal. Que les femmes doivent être traitées de la sorte. Ne pas répondre me plongeait dans un état de passivité forcée. On m’a apprit à avoir peur des hommes, à me montrer « plus intelligente », à avoir peur des conséquences, à tout accepter. Vers 19 ans, fatiguée de cette injustice, j’ai commencé à répondre. Parfois des insultes, parfois des doigts d’honneur, parfois des « ferme là », d’autre fois des questions « pourquoi faites vous ça monsieur ? Qu’est ce qui vous en donne le droit ? », parfois des leçons de morale « nous ne sommes pas des objets, arrêtez tout de suite de traiter les femmes de la sorte. Respectez nous. ».

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Qu’est ce que j’ai récolté ? Absolument rien. Mes interlocuteurs masculins ne comprennent jamais notre énervement, ils retournent la situation contre nous « l’hystérique », ou se cachent derrière l’humour « oh ça va, c’était une blague », ou « c’est un compliment », ou encore reste silencieux. Mais jamais, jamais ils ne se remettent en question. Jamais ils se disent que les femmes forment plus de la moitié de l’humanité, que nous sommes simplement des être humains dotés d’une conscience.

Aujourd’hui, je prenais ma pause de vendeuse dans la galerie marchande. J’étais assise sur un banc où j’avais une conversation difficile par messages sur mon téléphone. Autour de moi, des hommes de tous âges passaient, et sachez messieurs qu’on vous voient quand vous nous mattez avec insistance. Mon regard était dirigé sur mon téléphone, mais dans ma vision périphérique je voyais qu’on s’arrêtait presque pour mater mes seins. Parfois je levais les yeux afin de soutenir le regard de ces hommes et leur montrer leur impolitesse. Tous ont fait comme si de rien était. Ce qui m’a déjà mis très mal à l’aise, et énervée. La cerise sur le gâteau, c’est ce jeune blond aux yeux bleus qui est passé, m’a regardé lourdement en lachant un « mmh sexy ». Ne voulant pas laisser passer, je lui ai répondu « ta gueule » mais il m’a royalement ignorée.

Ce n’était pas du tout la pire chose qu’on m’aie dite. Ce n’était pas une agression physique non plus. Et pourtant. Je suis fatiguée d’avoir à subir ça. Je suis fatiguée que le monde entier pense qu’il y a plus grave dans la vie. Je suis fatiguée que tout le monde pense qu’il est normal d’agir de la sorte. Cette personne m’a traité comme un objet de fantasme alors que je ne la connait même pas, il ne m’a rien demandé, ni bonjour, ni quoi que ce soit, il a lâché son avis sur ma poitrine et a continué sa route comme si je n’étais pas une personne qui mérite le respect. Lorsque je lui ai dit de la fermer, il ne s’est même pas retourné pour m’adresser un regard, il a nié mon existence en tant que personne. Je me suis sentie humiliée et ma colère est montée en flèche. En un quart de seconde j’ai pensé à tous ces gars sur Twitter qui râlaient du mouvement Me Too et Balance Ton Porc en disant « c’est bien beau de balancer sur Twitter alors que vous ne faites rien en vrai. Vous avez qu’à agir aussi. » J’étais en furie. Je me suis levée, je lui ai couru après et arrivée derrière lui, je l’ai poussé de toutes mes forces. Il a fait deux pas en avant avant de se retourner en faisant des yeux ronds.

J’étais en colère, je voulais lui faire mal à son égo, l’humilier publiquement comme il le fait avec les femmes, je voulais lui faire mal comme il fait mal. J’ai crié qu’il arrête d’harceler les femmes en le frappant à la poitrine. J’ai commencé à lui donner plusieurs coups. J’étais dans un tel état qu’il représentait à mes yeux tous les hommes qui m’avaient fait du mal jusque là. Je ne l’ai pas tapé très fort, je ne lui ai donné aucun coup au visage, mais je n’ai pas arrêté de taper. Au début, il m’a dit « j’ai rien fait ». Puis, quand je lui ai crié que c’était un porc, qu’il fallait arrêter car on en peux plus, on en marre, il a arrêté de nier. Un homme est arrivé pour nous séparer, mais quand il est arrivé à notre hauteur, il n’a rien fait. Je ne sais pas si c’est parce qu’il entendait ce que je disais, et qu’il avait compris que la victime ici, ce n’était pas le blond. Je le frappais et lui hurlais d’arrêter ses commentaires sur le corps des femmes, qu’on n’en peux plus d’être traité ainsi et il a fini par lâcher « c’est bon, je suis désolée, je suis désolé ! » J’ai immédiatement arrêté mes coups. J’ai vu dans son regard une stupeur qui m’a fait penser qu’il était sincère. Je lui ai crié deux fois « connard », tout le monde nous regardait. Il m’a dit doucement « vas y répète le encore une fois » comme une provocation, et j’ai alors hurlé « connard » une dernière fois avant de tourner les talons et partir en tremblant. Je suis montée dans la réserve de ma boutique, et j’ai explosé en sanglots.

Est ce que des gens se sont levés de leurs chaises pour m’applaudir et me féliciter de ma bravoure ? Est ce que des gens sont venu me demander comment j’allais ? Non. Parce qu’on est pas dans un film américain, et que tout le monde s’en fout des petites meufs qui se font emmerder dans les lieux publics. Dans la réalité, les gens sont choqués des personnes qui font du bruit, qui « se mettent en scène » et qui trouble l’ordre publique. Les gens oublient la solidarité. Je suis partie, je tremblais de tout mon corps, je lâchais enfin mes larmes, et personne ne m’a aidé. Mais est ce que ce jeune blond y repensera à deux fois avant de faire des commentaires graveleux à une femme ? Je pense bien que oui. Il a apprit une belle leçon aujourd’hui et il s’est fait humilier en public à son tour. Ce n’était pas le meilleur des moyens, mais au moins, il y a du résultat et c’est la seule fois où mon harceleur m’a demandé pardon.

Je ne me sens pas fière de ce que j’ai fait, mais je ne me sens pas coupable pour autant. Je ne regrette pas mon acte, même si je suis toujours contre la violence. Je me dis juste que c’est bête que ce soit tombé sur lui, ce n’était même pas la pire remarque, ou le pire geste que j’ai eu à subir d’un homme. Mais il a été l’homme de trop.

Une remarque, nous n’en avons pas qu’une par jour. Une drague lourde qui tourne au harcèlement, nous n’en avons pas qu’une par jour. Une blague sexiste, nous n’en avons pas qu’une par jour. C’est une accumulation, chaque jour, qui fait qu’on en peut plus.

Je ne dis aucunement que la violence est une solution pour qu’un homme se remette en question et vous demande pardon, je raconte juste ce qu’il m’est arrivé aujourd’hui, pourquoi j’ai craqué.

Ce que je pense résolument, en revanche, c’est de ne plus vous laisser faire. Agissez, parlez, répondez, hurlez, humiliez, mais ne laissez plus faire. Ces hommes doivent comprendre que ce n’est pas normal, que ce sont des déchets humains. N’acceptez plus sous prétexte qu’ils seraient plus forts que vous ou je ne sais quoi. Ne vous mettez pas en danger, mais s’il vous plait, agissez.

Ce que je vous demande également, c’est vous qui êtes papa, maman, tonton, tatie, parrain, marraine, ou n’importe, éduquez les enfants. Filles comme garçons. Apprenez leur ce qu’est le sexisme, le racisme, l’homophobie, la transphobie, et apprenez leur pourquoi c’est grave, pourquoi il ne faut pas le répandre et pourquoi il faut le combattre. Apprenez à vos filles qu’elles sont fortes, qu’elles ont le droit de ne pas être d’accord, qu’elles ont le droit de dire non, qu’elles peuvent se défendre, qu’elles n’ont besoin de personne. Apprenez à vos garçons à considérer les filles comme des êtres humains, à ne pas harceler, à exprimer leur sentiments, à régler leur problèmes sans violence.

C’est en combattant et en éduquant que nous ferons avancer le monde.

11 commentaires

  1. (trouvé par le tag féminisme) Oui vous avez mis des mots justes sur votre colère, votre trop plein. Merci. Oui vous avez bien fait de l’arrêter, un simple cri de « connard » par derrière n’était pas suffisant. Et on peut penser qu’il a compris que vous étiez sincèrement excédée. Je vais me permettre de reprendre des extraits de votre texte, sauf objection. Et analyser aussi son déni, puis son silence. Et votre vécu. Et la déconstruction (c’est mon sujet, mon questionnement : ce n’est pas qu’une question d’éducation des hommes).

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    • Merci de valider mon ressenti. J’avoue avoir eu un peu honte de poster cet article qui parle tout de même de gestes violents que j’ai eu. Cependant, je pense que parfois malheureusement c’est inevitable et c’était peut être nécessaire. Tant que personne n’est blessé. C’est plus son ego que j’ai essayé d’atteindre que son corps.
      Ananlysez oui ! Je suis curieuse de savoir ce que vous pensez. Bien sur, tout cela est plus compliqué qu’une simple question d’éducation, mais ce n’était pas le sujet de l’article. Je consacrerai un article spécial à la question un jour.
      Je m’excuse d’avance des fautes de mon articles, j’ai écris sous l’impulsion du moment. Je reviendrai dessus demain, au calme.

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  2. Merci, merci pour cet fine description de « la fois de trop », celle où on est incapable de retenir la colère.
    J’ai vécu une explosion de colère similaire envers un exhibitionniste. Je ne l’ai pas frappé mais je lui ai balancé ses quatre vérités. Comme vous je ne regrette pas, j’irai même jusqu’à dire que ça m’a énormément aidée ! à reprendre le contrôle, à ne pas rester bloquée sur ce lamentable épisode. (Si ça vous intéresse, je l’ai raconté ici : https://telescopages.wordpress.com/2016/05/29/le-plan-vigipirate-intime/ )
    Cette colère « fondatrice » m’a incitée à ne plus laisser faire. Depuis, je réponds. Un jeune homme bien mis qui me demande un sourire ? Devant ses amis, je lui demande sérieusement pourquoi. Un petit garçon dans une voiture à l’arrêt qui me fait des bruits sans équivoque ? Je vais voir le conducteur et je lui demande si c’est lui qui donne cet exemple (cas intéressant, c’est la seule fois où j’ai eu des remords en me demandant si je n’avais pas « traumatisé » le petit garçon.)

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    • Ça fait déjà bien longtemps que je ne laissais plus faire, je répondais toujours. Mais malheureusement, il y a eu cette fois de trop où j’étais déjà en colère dans ma vie, et je sentais que les mots ne suffisait plus.

      Je suis heureuse qu’il y ait eu un déblocage pour vous aussi. C’est parfois difficile de sauter le pas entre l’ignorance et le fait de répondre. On nous apprends tellement, en tant que femme, à tout encaisser et se taire et ce depuis le plus jeune âge.
      C’est très bien ce que vous faites. Le fait de demander « pourquoi » amène à se remettre en question.
      Pour le petit garçon, je ne pense pas qu’il ait été « traumatisé ». Il a eu une bonne leçon qui l’aura marqué, ça c’est sûr et tant mieux !

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  3. Hey, je suis tombée sur ton blog via celui de « singulier masculin ».

    Bravo pour ton courage (à la fois d’avoir riposté et d’avoir témoigné). Ça fait du bien de te lire. Je comprends la culpabilisation qu’il y a à répondre par la violence, je pense pas non que ce soit la solution non plus, je me dis aussi « qu’il ne faut pas répondre à la violence par la violence » parce que reproduire les mêmes schémas c’est nul… Mais en te lisant, en lisant quelqu’un d’autre vivre la même chose que moi je réalise que non. Ce n’est pas la même violence celle qui réagit à un système d’oppression qui harcèle et agresse constamment, elle est normale. Bien sûr qu’il faut l’éviter au maximum mais pas au détriment de sa dignité, je pense que t’as eu la bonne réaction et j’espère que tu ne te sens pas coupable. L’épuisement psychologique est une violence et tu réponds comme tu peux 🙂

    Au plaisir de te lire !

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    • Merci beaucoup pour ton commentaire ! Il fait du bien à lire. Je suis étonnée des bons retours que j’ai sur cet article, je dois bien l’avouer.
      Je crois que je m’attendais à me faire « taper dessus » pour avoir réagit par la violence. Je culpabilise un peu malheureusement et je me dis que je salie l’image des féministes à cause de cette reaction trop vive. Mais c’est vrai qu’il y a des colère légitime et nécessaire parfois.
      Les retours comme le tien m’aident à me dire que je n’ai peut être pas réagit de la meilleure façon mais que c’était nécessaire à ce moment là.

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