en passant Agression d’anniversaire

Hier soir je me suis faite harceler, aujourd’hui c’est mon anniversaire.

Je sors de mon insomnie avec un message de Google « Joyeux anniversaire Megan, passez une belle journée ! » Tu parles d’une belle journée ! J’ai quasiment pas fermé l’œil de la nuit, mon agression de la veille se rejouant encore et encore dans ma tête. Je me réveille en sueur avec la boule au ventre. Joyeux anniversaire !
Je suis sûre que ce mec a dormi sur ses deux oreilles et qu’il recommencera tous les jours de sa vie son petit jeu de mec violent.
Moi, je suis en miettes. Je ne vais pas dire que je n’ai pas l’habitude, mais c’est vrai qu’à maintenant 29 ans (aïe) les agressions se font plus rares. Les hommes aiment la viande fraîche et apeurée. Mon palmarès d’agressions était au top de mes 9 ans à mes 24 ans. Je ne pouvais même plus les compter tellement j’en ai vécu. De la plus grave, à la plus désuète, des histoires, j’en ai à la pelle.
Mais c’est vrai que depuis quelques années, elles se font plus rares. Ça me fait du bien, je respire à nouveau, mais quand ça arrive et que c’est violent, ça me traumatise d’autant plus et ma rage est telle que je n’arrive plus à passer à autre chose.
On subit depuis trop d’années.

Hier soir donc, je rentrais du boulot en transports. Je suis allée m’assoir en face d’un monsieur dans le tram, j’ai ouvert mon livre et ai commencé ma lecture. J’ai très vite été rejoint par un homme qui s’est assis à ma gauche en écartant ses jambes au maximum. Typique. J’ai alors pensé à faire pareil pour lui faire ranger ses jambes et qu’il arrête de prendre tout l’espace publique, mais tout de suite j’ai senti le type de mec que j’avais à côté de moi. Le genre bien violent. Il se faisait remarquer, il vivait plus fort que les autres si vous voyez ce que je veux dire. Le genre de personne qui rentre dans un métro, un tram, un bus et que tout le monde remarque. Il prend toute la place, il respire fort, il cherche le regard de tout le monde dans l’espoir d’amener une confrontation. Le type de mec qui vit que pour la discorde, la haine et la violence.
Avec le monsieur en face de moi, on s’est d’ailleurs lancé plusieurs regards gênés, inquiets. Je me suis replongé dans mon livre et ai attendu que ça passe.


Ça n’est pas passé.
Il a commencé a interpeller un jeune homme au loin en hurlant « qu’est ce t’as pédé !?! Qu’est-ce t’as à me regarder !?! » Bingo, le mec violent du tram était assis à côté de moi. Sobre, pas alcoolisé, pas drogué, pas un sans abris qui n’a plus sa tête. Juste un mec violent lambda. Il a continué en gueulant « suce mon chibre ! » Un pur produit de masculinité toxique. Je me suis mise à bouillir intérieurement. Je n’arrivai plus à lire tranquillement, impossible. J’avais envie d’intervenir, de défendre le jeune homme, mais j’ai senti que le type a côté de moi était prêt à frapper à tout moment. On s’est regardé avec le grand monsieur en face de moi, désemparé. Je me suis levée, et je suis allée dans le couloir. Le tram était tellement bondé que je n’ai pas pu m’éloigner. J’étais juste à côté du mec violent.
Je me suis mise dos à lui et j’ai essayé de reprendre ma lecture. Je sentais que son arrêt arrivait, j’étais bloquée dans un mini couloir (je déteste les transports Toulousain miniscules) et une foule de gens était attroupé devant moi. Bloquée. Il a commencé à se lever, et s’est mit derrière moi. J’ai esquissé un mouvement pour voir si je pouvais arriver à le laisser passer. Impossible. Je suis revenue dans ma position initiale. Piégée.
Il s’est collé à moi et m’a dit « je vais pas te manger hein ».
Je.ne.me.laisse.plus.faire.

Les conseils vaseux à base de « ignore les » me sortent par les yeux. Depuis des millénaires les femmes se taisent et quel résultat ça a donné ? Encore plus d’agressions parce que les hommes croient que notre silence équivaut à notre consentement. On croit que nous sommes dociles, faibles et soumises ou pire, qu’on « aime ça ». On se tait et ces comportements prolifèrent. On nous conseille de nous taire et quand on ose enfin dénoncer, avec l’essor du mouvement MeToo en 2017, la première réaction qu’on se prend c’est « pourquoi vous parlez que maintenant ? » Allez vous faire foutre.
Je ne me tais plus.

Je me suis tourné vers lui et je lui ai dit « c’est bon » sur un ton ferme pour lui indiquer de ne pas m’adresser la parole. Il m’a répondu « faut pas avoir peur hein, j’ai mangé aujourd’hui ». Je voyais qu’il jubilait d’inspirer la peur.
J’avais le cœur qui battait à dix mille, je n’arrivai pas à réfléchir correctement avec la colère, je voulais juste qu’il se taise alors j’ai répété « c’est bon », « c’est bon ça suffit maintenant » a chacune de ses phrases. Il m’a imité et a répété avec une voix idiote « c’est bon, c’est bon, c’est bon ». Je me suis sentie humiliée de ne pas réussir à être plus articulée et dire des choses plus percutantes.
Je me suis mise dos à lui, il s’est mis encore plus près et a dit d’un ton très clair « personne va rien faire. C’est un pays de faible. » Et je savais qu’il avait raison, car j’étais abasourdie que personne ne m’est fait de la place dans la foule pour me sortir de là.


J’ai l’habitude de l’inaction des gens dans les agressions silencieuses type frotteurs etc. Ici, j’exprimais clairement mon refus de parler avec ce mec, le tram était bondé et personne n’a bougé.
J’en ai vécu des situations comme ça à Lyon, j’ai toujours aidé les filles ou elles m’ont aidé. Ici, rien. Je ne pense pas que ça vienne de Toulouse en soit, je n’ai juste pas eu de chance.
Quand il me dit ça et que personne ne réagit, je comprends que c’est également une menace et que s’il veut me faire du mal tout le monde va continuer de me regarder sans rien faire.
Dans une volonté de calmer les choses je lui dit, toujours sur un ton ferme « écoute j’ai déjà passé une journée de merde donc tu me lâches maintenant. »
Il s’en amuse et me répond « faut se détendre hein, souris un peu, imagine tu meurs demain ! » J’ai eu envie de lui répondre « tant mieux ». Franchement autant mourir demain que de vivre dans ce monde de merde où des mecs violents existent et où tout le monde ne fait rien. Plutôt mourir demain que de continuer à subir la misogynie dans les transports, dans les médias, dans la rue, dans les réseaux sociaux, dans son foyer.
Je bouillonnais et c’est peu dire. J’ai commencé à lui crier de me foutre la paix, de dégager, de me laisser tranquille. J’ai oublié ce qu’il m’a répondu, je n’entendais que mon sang qui battais dans mes oreilles et mes propres cris. Qu’il me tape, qu’il ose ! Rien à foutre que les gens bougent pas. Toutes sortes d’images passaient dans ma tête. Je voulais lui crever les yeux avec mes ongles, lui mettre un coup de tazzer dans le cou, le planter dans le ventre. Je voulais que cette merde humaine qui passe son temps à insulter les gens dans les transports et qui ne fait je ne sais quelle immondice en dehors crève. Je ne veux plus d’homme comme ça sur cette Terre. Je n’en peux plus.
Trop longtemps qu’on subit.


J’ai continué à gueuler et il est enfin sorti en se foutant de ma gueule.
Je n’arrivais même pas à voir les gens autour de moi, ma vision était brouillée. Je suis retournée m’assoir en face du grand monsieur. Mes mains se sont mises à trembler comme jamais, j’ai eu une envie terrible de fondre en larmes mais je refuse de pleurer en public. Surtout devant ces gens insensibles. Je refusais de leur donner le spectacle de « la meuf hystérique » alors je me suis mordu la joue le plus fort possible pour retenir mes larmes.
Le monsieur en face de moi m’a dit « il vous a embêté ? » et j’ai eu envie de lui fracasser le crâne parce qu’il avait tout vu depuis le début et qu’il osait me poser une question stupide. Mais je me suis dit qu’il essayait d’être gentil, et je suis une personne polie alors j’ai pris sur moi. J’ai mordu mes deux joues le plus fort possible et j’ai attendu 2 bonnes minutes pour lui répondre pour ne pas risquer de fondre en larmes.
Je me suis concentré de toutes mes forces et j’ai dit au grand monsieur « merci pour vos mots ». C’est tout ce que j’ai réussi à articuler pour lui faire comprendre que je le remerciais au moins de m’avoir adressé la parole. Il m’a demandé si je connaissais le type. J’ai dit non. Une petite dame mimi qui venait d’arriver m’a demandé ce qu’il s’était passé et je lui ai dit que je venais tout juste de me faire harceler. Elle était désolée et m’a dit qu’elle venait d’arriver, qu’elle n’avait rien vu. Le grand monsieur en face de moi a enchaîné « j’aurais agi mais je croyais que vous étiez ensemble » Je l’ai insulté dans ma tête car il savait très bien. Il avait assisté à toute la scène, il m’avait vu lire mon livre tranquillement en face de lui avant que le type violent nous rejoigne. On avait échangé des regards stressés ensemble et maintenant il jouait les gros bras. De toute la rame, je suis la seule du haut de mes 1m56 qui a tenu tête à un mec qui terrifiait tout le monde.
J’ai juste répondu au monsieur « non. Je ne suis pas avec un mec comme ça » et j’ai baissé les yeux sur mes mains tremblantes. Je n’avais pas la force de le confronter. J’avais les yeux embués et la gorge nouée.
Le grand monsieur m’a dit « faut pas pleurer pour ça » et la colère est monté d’un coup dans mon corps.
J’ai levé la tête et sans bafouiller, j’ai lâché : quand on se fait constamment harceler en tant que femme je pense qu’au bout d’un moment on a le droit de ressentir des choses vis à vis de ça.
Il a répondu « ah bon ? » J’ai enchaîné « je me fais agresser et harceler par les hommes depuis mes 9 ans. »
Un jeune homme a côté de moi a dit « ah ouais tant que ça ? » Et le grand monsieur « je me rends pas compte moi, après c’est vrai que je suis un grand balèse donc je vis pas ça »
Je me suis dit que j’avais une belle brochette d’idiots en face de moi et qu’un homme ne pourra jamais saisir l’ampleur de la chose. J’ai dit « vous avez de la chance » et j’ai tourné les yeux vers la petite dame. On s’est regardé, on s’est comprises sans un mot et je me suis plus sentie soutenue que par tous les mots que les deux hommes à côté de moi m’avaient dit et allaient me dire.


Elle a quitté le tram et la conversation a continué avec les deux hommes. Le grand monsieur parlait d’un sans abris qui squattait le parking de son boulot, une conversation totalement hors sujet dont il était le super héros pendant que moi je luttais toujours avec mes émotions et mes tremblements.
Nous arrivions bientôt au terminus, et il a commencé à dire « pourtant moi j’aime pas les féministes… » et n’en pouvant plus, je l’ai coupé directement. Je lui ai dit « par contre ne commencez pas avec ça » et il a enchaîné « non mais faut bien avouer qu’il y en a des extrémistes » Du tac au tac, je lui ai lancé « les hommes tuent constamment, les féministes n’ont jamais tués personne. Si le féminisme extrémiste c’est seulement dire des choses qui dérangent les hommes alors je pense qu’on s’en sort bien ». Ce grand idiot m’a répondu « y a des féministes qui tuent aussi. » J’enchaîne qu’un meurtre n’a jamais été revendiqué par une féministe jusqu’à présent. Il insiste « des femmes tuent aussi » et moi : « en très moindre pourcentage comparé aux hommes et même dans ce minime pourcentage, la majorité de ces meurtres sont par légitime défense dû à des abus ».
On a commencé à descendre les marches du métro avec le grand monsieur et le petit jeune, ce dernier silencieux car visiblement trop gêné par la conversation.
Le grand monsieur a tenté un « oui mais quand même il y en a qui vont trop loin » et je lui ai dit « écoutez si on irait vraiment trop loin, on devrait peut être créer des milices et commencer à planter les mecs qui nous emmerde » Le petit jeune à rigolé, je lui ai glissé en souriant « t’inquiète toi tu ne seras pas planté » puis j’ai remercié le grand monsieur et lui ai indiqué que j’allais prendre mon métro toute seule.

J’étais en état de choc, je tremblais, je retenais mes larmes et tout ce que cet homme a trouvé à faire est un discours anti féministe. Quel privilège d’ignorer les harcèlements et les violences faites aux femmes. Quel privilège que de n’avoir comme seul problème, que les revendications des féministes. Il se sent insulté par des mots, des discours, tandis que nous vivons l’oppression depuis le berceau.


J’ai dû me retenir de pleurer dans le tram, dans le métro, puis dans le bus qui m’ont ramené chez moi.
À la maison je me suis effondrée en larmes pendant des heures. Mon copain, visiblement soulagé par le récit de mon histoire a cru bon de me dire « ouf, je croyais que c’était pire que ça ». Spoiler alert, je ne l’ai pas bien pris du tout et je lui ai bien fait comprendre.

Les hommes, même les plus déconstruits ne peuvent pas comprendre ce que le moindre harcèlement nous procure en tant que femme. Le problème est plus grand que l’agression en elle-même. Le problème c’est l’accumulation depuis qu’on est toute petite, le problème c’est l’humiliation de voir que certains mecs nous considèrent comme inférieures et prennent ce genre de liberté sur nous, le problème c’est le sentiment d’impunité de ces hommes, le problème c’est d’être touchée, violée, battue, insultée, manipulée, harcelée sans que nous ne soyons crues et sans que ces mecs payent pour leur attitude.

Je déteste la violence des hommes dans le métro, c’est d’autant plus violent quand ce mec se colle à moi et me dit « personne ne va rien faire« . C’est d’autant plus traumatisant quand tout le monde te regarde affronter seule un mec qui fait deux fois ta taille et qui est du type nerveux.

Donc oui, désolée, il ne m’a pas touché, il ne m’a pas violé, mais je suis quand même traumatisée de sa violence. Et sa violence s’ajoute à toutes les autres, bien plus graves, que j’ai subi depuis l’enfance en tant que femme.

Cette nuit je n’ai pas dormi, la scène se rejouant encore et encore.
Bref, bon anniversaire à moi.

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